Responsabilité médicale : ne pas être informé nuit gravement au patient !

Le manquement du médecin à son devoir légal d’information cause, par lui-même, un préjudice réparable : tel est l’enseignement livré par cet arrêt rendu par la première Chambre civile de la Cour de cassation le 3 juin dernier, que l’on trouve déjà sur le site de la Cour régulatrice.

Voilà qui consomme un revirement bienvenu : « la perte d’une chance d’échapper au risque qui s’est finalement réalisé », suivant la curieuse formule de la Cour de cassation, n’est plus le seul dont la victime puisse espérer réparation en cas de manquement au devoir d’information du médecin. Il faut espérer que cette solution laissera quelques séquelles au-delà de la responsabilité médicale…

Atteint d’un adénome de la prostate – ce qui comprime vessie et urètre -, un patient subit une intervention chirurgicale, afin que lui soit ôtée cette douloureuse tumeur. Or, voici que quelques temps après l’intervention, il se plaint d’être impuissant. Aussi notre patient assigne-t-il l’urologue ayant pratiqué l’intervention en responsabilité.

Débouté par les juges du fond, il se pourvoit en cassation, prétendant en premier lieu que le médecin avait manqué à son obligation de suivi post-opératoire. L’on ne s’attardera pas sur ce moyen peu fertile – si l’on ose dire – , qui rapidement écarté par la Cour régulatrice : la Cour d’appel avait en effet relevé que le patient « n’avait pas été laissé sans surveillance postopératoire, que le suivi avait été conforme aux données acquises de la science, que le praticien avait reçu le patient à deux reprises et prévu de le revoir une troisième fois, ce qui n’avait pas été possible en raison de la négligence du patient lui-même ». Aucune faute de suivi ne pouvait donc être reproché au médecin.

Le second moyen mérite au contraire qu’on s’y attarde.  Les juges du fond avaient effet en l’espèce écarté toute responsabilité du médecin en raison du manquement à son devoir d’information, en retenant « qu’il n’existait pas d’alternative à l’adénomectomie pratiquée eu égard au danger d’infection que faisait courir la sonde vésicale, qu’il est peu probable que M. X…, dûment averti des risques de troubles érectiles qu’il encourait du fait de l’intervention, aurait renoncé à celle-ci et aurait continué à porter une sonde qui lui faisait courir des risques d’infection graves ». Ainsi avaient-ils écarté la perte de chance.

La motivation était sans doute critiquable : en affirmant qu’il eût été « peu probable » que le patient renonce, quand bien même il aurait su, la Cour d’appel n’excluait pas totalement la caractérisation d’un lien de causalité entre la faute prétendue et le préjudice subi, pas plus que « la perte de chance d’échapper au risque réalisé ». Ce n’est pourtant pas sur ce terrain que se place la Cour de cassation, ce qui ne confrère que davantage de portée à la décision.

La Cour régulatrice administre ici sa médecine par voie d’attendu de principe, et sous le visa des articles 16, 16-3, alinéa 2 , et 1382 du code civil. Elle affirme en effet qu’il « résulte des deux premiers de ces textes que toute personne a le droit d’être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n’est pas à même de consentir et que le non-respect du devoir d’information qui en découle, cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice, qu’en vertu du dernier des textes susvisés, le juge ne peut laisser sans réparation ». Ainsi, en constatant le manquement au devoir légal d’information sans réparer le préjudice qui en découle  – ipso jure-, les juges du fond avaient violé les textes ci-dessus cités.

C’est un revirement qu’opère ici la première Chambre civile de la Cour de cassation.

Elle revient en effet sur le principe vivement critiqué, qu’elle avait elle-même posé, selon lequel  « le seul préjudice indemnisable à la suite du non-respect de l’obligation d’information du médecin, laquelle a pour objet d’obtenir le consentement éclairé du patient, est la perte d’une chance d’échapper au risque qui s’est finalement réalisé » (Cass. 1civ., 6 déc. 2007,  D. 2008. Jur. 192, note P. Sargos, Pan. 2894, et obs. P. Brun et P. Jourdain ; RTD civ. 2008. 303, obs. P. Jourdain, et 272, obs. J. Hauser ; adde, L. Neyret, La Cour de cassation neutralise l’obligation d’information de certains professionnels, D. 2008. Chron. 804 ; M. Bacache, Le défaut d’information sur les risques de l’intervention : quelles sanctions ?, D. 2008. Chron. 1908 ; JCP 2008. II. 125, n° 3, obs. P. Stoffel-Munck ; RLDC 2008. 3016, obs. C. Corgas-Bernard). Cette solution stérilisait (si l’on ose dire encore) le devoir légal d’information, qui se trouvait parfois totalement dépourvu de sanction. Le remède est désormais trouvé à travers la consécration de ce qu’il est convenu d’appeler le « préjudice d’impréparation ».

Le « préjudice d’impréparation » peut être défini, avec notre collègue Jean Penneau, comme  le dommage « dont peut se plaindre tout patient qui n’a pas été en mesure de se préparer psychologiquement au risque qui lui avait été caché. (…). Il est, en effet, de constatation commune que l’on supporte moralement mieux un dommage à l’éventualité duquel on a pu psychologiquement se préparer, que celui qui était totalement imprévu » (M. Penneau, note sous Angers, 11 sept. 1998, D. 1999. Jur. 46).

Le défaut d’information débouche donc en soi sur un préjudice consistant dans le fait même de ne pas avoir été suffisamment informé au seuil de l’opération. Ce préjudice se distingue dès lors de la perte de chance de ne pas contracter, et se conçoit comme un dommage moral autonome résultant du fait de ne pas avoir été averti du risque réellement encouru.

Au-delà de la consécration de ce « préjudice d’impréparation », la Cour régulatrice ne revient pas en revanche sur le fondement de la sanction du devoir d’information : outre les articles 16 et 16-3, elle vise l’article 1382 du Code civil. La responsabilité du médecin n’est donc pas contractuelle mais bien délictuelle lorsqu’elle est engagée au titre d’un manquement au devoir d’information. Il s’agit de tirer les conséquences de ce que ce devoir procède de la loi et puise ses sources au-delà du contrat médical régissant ordinairement les relations du médecin et de son patient. Au vrai, le choix de la responsabilité délictuelle inspire des sentiments mitigés (v.les obs. de P. Jourdain, préc.). Sur un plan théorique, il faut l’approuver. Outre qu’il s’agit bien de sanctionner un devoir légal, l’incursion de la responsabilité délictuelle dans les règles du contrat est une constante en matière de responsabilité civile professionnelle, du notaire jusqu’au dirigeant social, en passant donc par le médecin. Sur un plan pratique, en revanche, l’enchevêtrement des responsabilités ne facilite guère les recours, pas plus que la tâche des avocats…

Sous cette – légère – réserve, il faut se satisfaire de ce revirement. Et même souhaiter que la Cour de cassation aura recours à la même posologie pour d’autres pathologies. Ainsi avions-nous proposé il y a peu de consacrer ce « préjudice d’impréparation » en matière de cautionnement, afin de sanctionner le défaut d’information de la caution et plutôt que de recourir à la notion bien improbable de « perte de chance de ne pas contracter » (D.2009 p. 2971, note sous Cass. Com., 20 octobre 2009). La consécration de ce préjudice d’impréparation en cette matière permettrait de réparer le dommage réellement subi par la caution : le fait même de ne pas avoir vraiment connu les risques de ce cautionnement (V. not. A.-S. Barthez et D. Houtcieff, Les sûretés personnelles, Traité de droit civil, LGJD, à paraître, n° 710 s).  La perte de chance n’est en effet souvent qu’un placebo, que tel juge utilise en espérant réparer un dommage sans véritablement l’avoir cerné. L’on ne peut donc qu’espérer que ce revirement emportera quelques effets secondaires au-delà de la pathologie traitée.

ANNEXE

Cass. 1ère civ. 3 juin 2010, n°09-13.591

Cassation partielle

Demandeur(s) : M. C… X…

Défendeur(s) : M. T… Y… ; La caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde

Attendu qu’ayant subi, le 20 avril 2001, une adénomectomie prostatique, M. X… qui s’est plaint d’impuissance après cette intervention, a recherché la responsabilité de M. Y…, urologue, qui l’avait pratiquée ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir débouté de ses demandes, alors, selon le moyen :

1/ que le médecin, tenu de suivre son patient aussitôt qu’il l’a opéré, doit être diligent et prudent dans l’exécution de cette obligation, dont il ne peut se décharger; qu’ainsi, viole ladite obligation le médecin qui se désintéresse du sort de son patient au point de ne le recevoir en consultation qu’un mois après l’avoir opéré, sauf à ce qu’il eut été convenu avec ce dernier que, durant ce délai de latence, il serait substitué par un autre médecin dans l’exécution de son obligation de suivi post-opératoire ; qu’en l’espèce, après avoir relevé que M. Y… n’a reçu en consultation M. X… que le 25 mai 2001, soit plus d’un mois après avoir pratiqué sur lui une adénomectomie prostatique, et en jugeant néanmoins que ce médecin n’avait pas failli à son obligation de suivi post-opératoire au prétexte qu’un autre urologue avait “vu” son patient, sans constater qu’il avait été convenu avec M. X… que son obligation de suivre ce dernier serait exécutée par cet autre urologue, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil ;

2/ que seul le fait du créancier constituant une force majeure exonère totalement le débiteur défaillant ; qu’en l’espèce, en écartant la faute de M. Y… consistant à avoir violé son obligation de suivi post-opératoire au motif que M. X… n’avait pas pris rendez-vous avec lui à l’issue de la seconde consultation en date du 16 juillet 2001, soit trois mois après l’intervention chirurgicale, sans caractériser le comportement imprévisible et irrésistible de M. X… qui aurait interdit son suivi par M. Y… aussitôt après l’opération, la cour d’appel a violé les articles 1147 et 1148 du code civil ;

Mais attendu qu’ayant relevé que M. X… n’avait pas été laissé sans surveillance postopératoire, que le suivi avait été conforme aux données acquises de la science, que le praticien avait reçu le patient à deux reprises et prévu de le revoir une troisième fois, ce qui n’avait pas été possible en raison de la négligence de M. X…, la cour d’appel a pu en déduire l’absence de manquement fautif dans le suivi postopératoire ; que les griefs ne sont pas fondés ;

Mais sur la troisième branche du moyen :

Vu les articles 16, 16-3, alinéa 2, et 1382 du code civil ;

Attendu qu’il résulte des deux premiers de ces textes que toute personne a le droit d’être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n’est pas à même de consentir ; que le non-respect du devoir d’information qui en découle, cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice, qu’en vertu du dernier des textes susvisés, le juge ne peut laisser sans réparation ;

Attendu que pour écarter toute responsabilité de M. Y… envers M. X…, l’arrêt, après avoir constaté le manquement du premier à son devoir d’information, retient qu’il n’existait pas d’alternative à l’adénomectomie pratiquée eu égard au danger d’infection que faisait courir la sonde vésicale, qu’il est peu probable que M. X…, dûment averti des risques de troubles érectiles qu’il encourait du fait de l’intervention, aurait renoncé à celle-ci et aurait continué à porter une sonde qui lui faisait courir des risques d’infection graves ;

En quoi la cour d’appel a violé, par refus d’application, les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition rejetant la demande en paiement d’une indemnité au titre du manquement au devoir d’information, l’arrêt rendu le 9 avril 2008, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse

A propos Houtcieff

Dimitri Houtcieff est agrégé des facultés de droit et avocat à la Cour. Après avoir enseigné à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence, puis à l’Université du Maine, il est aujourd’hui professeur à la Faculté de droit d’Évry, où il dirige notamment le centre de recherches Léon Duguit et où il enseigne le droit des sûretés et celui des obligations depuis de nombreuses années. Il est l’auteur d’une thèse consacrée au principe de cohérence en matière contractuelle (prix Henri Capitant) et d’un ouvrage de droit commercial. Il est par ailleurs co-auteur du Traité de droit des sûretés personnelles, dans la collection dirigée par Jacques Ghestin. Également auteur de nombreuses notes et articles en droit des sûretés ainsi qu’en droit des obligations, il est cotitulaire de la chronique de droit des sûretés de la Revue des contrats et dirige la chronique de droit des contrats et obligations de la Gazette du Palais
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